« Inventions du souvenir », de Silvina Ocampo : le feuilleton littéraire de Camille Laurens
FRANCESCA CAPELLINI UNE JARRE QUI BRILLE Il n’est pas facile pour un écrivain d’évoquer l’enfance, et a fortiori la sienne, sans se heurter aux deux écueils que la mémoire adulte met sous sa plume : la mièvrerie et la nostalgie. Il n’est pas fréquent non plus de découvrir un écrivain exceptionnel méconnu – une écrivaine en l’occurrence, et l’on ne s’en étonnera pas, car c’est beaucoup moins inhabituel quand il s’agit d’une femme. Et ce sont donc logiquement les éditions Des femmes qui ont entr......
En matière d’histoire policière ou de récit criminel, rien ne vaut les limiers atypiques, les enquêteurs foutraques et les observateurs lunaires. Ceux qui, du père Brown de G. K. Chesterton à Columbo, investiguent en dehors des clous et s’inventent une méthode des plus personnelles. Exemple méconnu, et que nous révèle Ceux qui aiment, haïssent, roman de Silvina Ocampo (1903-1993) et Adolfo Bioy Casares (1914-1999) : l’homéopathe Humberto Huberman. Alors qu’une escapade roborative et méditative l’amène ... ...
FRANCESCA CAPELLINI LIGNES DE FUITE Il paraîtra peut-être étrange de clore à la fois cette saison et mes trois années de feuilletoniste littéraire par un livre qui ne relève pas de la littérature. La Fabrique de nos servitudes est en effet un essai qu’on pourrait dire politique au meilleur sens du terme. Il est l’œuvre d’un citoyen éclairé soucieux d’analyser la société dans laquelle nous vivons et les dangers mortifères qui nous y menacent, mais aussi de proposer d’autres manières de penser et d’agi... ...
ALINE BUREAU La première fois que j’ai entendu un texte de Penda Diouf, c’était au Festival d’Avignon en 2017, elle faisait une lecture scénique de Pistes, un beau monologue dans lequel son admiration pour l’athlète namibien Frankie Fredericks, vice-champion olympique du 100 mètres et du 200 mètres en 1992 et 1996, lui permettait d’aborder l’histoire de l’oppression à travers une réflexion sur le corps du sportif et celui de l’esclave. Française née en 1981, à Dijon, d’un père sénégalais et d... ...
FRANCESCA CAPELLINI ENTREPRISE DE DÉMOLITION Dès le titre du premier roman de John O’Hara (1905-1970), Rendez-vous à Samarra, publié en 1934, et réédité aujourd’hui dans une traduction révisée, on sait que l’issue en sera tragique. L’auteur met en effet en exergue le célèbre conte oriental selon lequel un homme, à qui la Mort croisée sur un marché de Bagdad avait fait un geste menaçant, s’étant enfui à Samarra pour lui échapper, l’y trouva : ce n’était pas un geste de menace mais de surprise qu... ...
ALINE BUREAU LA VOIX QUI PERSÉVÈRE Lorsque Pierre Seghers, poète, éditeur, créateur de la célèbre collection « Poètes d’aujourd’hui », publie La Résistance et ses poètes, en 1974, il écrit en épigraphe : « Jeunes gens qui me lirez peut-être, pensez-y ! Les bûchers ne sont jamais éteints et le feu, pour vous, peut reprendre… » Alors que les éditions Seghers rééditent les deux volumes de cet ouvrage important, le lecteur ne peut que constater l’affreuse actualité d’un tel présage et la né... ...
FRANCESCA CAPELLINI LE GOÛT DE LA BRIOCHE On entend parfois des éditeurs étrangers donner comme explication à leur refus d’acheter les droits de traduction d’un roman : « C’est trop français », comme si le but, quand on lit un livre étranger, n’était pas de connaître une autre culture, de découvrir une autre approche du monde, comme s’il ne fallait donner à lire au public que des choses qui lui sont déjà familières. « Trop » est ici une forme de censure, un manque flagrant d’ouverture à l’autr... ...
STEFANIA INFANTE UNE JAMAIS DERNIÈRE FOIS Quel que soit le sujet de la poésie, sans doute nous parle-t-elle toujours du temps – du temps qui passe, du temps qu’il fait sur les pommiers comme sur nos vies –, elle est à la fois immanente et métaphysique. Auteur chez Flammarion d’Entre-temps (1997), Echoir (1999), Eté (2005), Eté II (2010), Etc (2016), Et (2020), Bernard Chambaz signe, avec e bientôt muet, la proche fin d’un cycle où, si les titres vont decrescendo, reste ce « divin murmure/ où règne le futu... ...
ALINE BUREAU AUTOPSIE D’UN COUPLE Le 16 juin, ce sera le Bloomsday. Cette fête irlandaise, créée en 1954, a ceci d’exceptionnel qu’elle célèbre un écrivain, James Joyce, en empruntant le nom fictif de Leopold Bloom, l’un des personnages principaux de son chef-d’œuvre, Ulysse (Gallimard, 1929). Ce très long roman se déroule en une seule journée, à Dublin, le 16 juin 1904. L’auteur a confié avoir choisi cette date parce qu’elle correspondait au jour où il avait fait sa déclaration d’amour à Nora... ...
FRANCESCA CAPELLINI LE SENTIMENT DU MONDE On a rarement la chance qu’une anthologie de textes soit composée par leur auteur, ce qui rend Le destin va ramener les étés sombres encore plus précieux. Etel Adnan y a en effet rassemblé une sélection tirée de plusieurs de ses recueils de poésie publiés entre 2008 et 2021, date de sa disparition à l’âge de 96 ans. Egalement peintre et calligraphe, la poète libano-américaine ne séparait pas nettement ces activités de l’écriture, considérant qu’« écrire, c’e... ...
STEFANIA INFANTE RELIQUES SENTIMENTALES Au début, on croit qu’Un amour, roman de l’écrivaine espagnole Sara Mesa, va explorer le thème du retour à la campagne qu’effectuent, ces dernières années, bon nombre de citadins en quête de renaissance champêtre. En effet, Nat, son héroïne trentenaire, a quitté la ville et son emploi de traductrice commerciale pour venir s’installer à La Escapa, un village perdu de la Rioja, au nord de la péninsule, dans une bicoque sans confort et qui prend l’eau, seule avec un ch... ...